Divinités et Légendes de la Brie par René BLAISE

DAGNY

Saint Géroche est patron de ce tout petit village de la Brie. Tant de légendes l’ont entouré qu'on a pu parfois le considérer lui-même comme légendaire.
Dom Mabillon le cite d’après un vieux calendrier de Faremoutiers qui le commémorait le 5 des ides de juillet tandis que la Brie le fêtait deux jours plus tôt. Ce calendrier avait été établi la 31e année du règne de Charlemagne (799-800) et le désignait ainsi : « Beati Jerochii abbatis ».
T. Duplessis est resté sceptique à son égard. L’abbaye, Sainte-Céline de Meaux le revendiquait. Il aurait été moine, à Rebais, curé de Giremoutiers et de Dagny. Les moniales de Faremoutiers en faisaient un abbé du monastère contemporain de Sainte-Fare et prétendaient même avoir retrouvé sa tombe dans un vieux cimetière de l’abbaye. Plus récemment, on y voyait un confesseur de Sainte-Fare. Les fondations colombanistes de la région ont eu un but bien précis : procéder à la conversion des « pagani ». La mission convertissante et civilisatrice de l’abbaye se perçoit dans toute la basse vallée de l’Aubetin dont Dagny occupe le fond. Géroche est un nom d’origine germanique, comme sainte Fare et la majorité de son entourage. On peut voir en lui un membre particulièrement actif de la communauté masculine, de Faremoutiers, chargé de la conversion des campagnes, les sœurs étant soumises à la clôture. Il est parfaitement vraisemblable qu’il ait participé a la fondation de l’église Saint-Pierre de Giremoutiers et de celle de Dagny et que, plus tard, après 636, il ait secondé sainte Aile à Rebais. Saint-Pierre fut précisément l’un des titres de Faremoutiers et presque partout il dénonce des fondations mérovingiennes. Géroche n’apparaît pas comme un personnage mythique et l’homme doit être séparé du vêtement dont il s’est trouvé affublé par la suite. Ce vêtement est un tissu de légendes qu’il importe de creuser. Saint Géroche allait un jour visiter des paroissiens ; il dut traverser un terrain bourbeux. Son bâton resta enfoncé dans le sol et il le condamna à fleurir deux fois l’an, ainsi naquit l’Epine de Saint-Géroche. Il s’agit d’un buisson d’épine noire ou prunellier. Contrairement aux arbres qui naissent et meurent, un buisson de cet arbuste peut avoir durée indéfinie puisqu’il se multiplie par drageons ou rejets. Sa double floraison n’est pas une fable ; on peut constater aux environs de Noël, un départ larvé de végétation, variable suivant les années, qui n’empêche pas la floraison printanière de se produire. Une autre légende explique implicitement ce phénomène. Les habitants de Dagny se plaignirent un jour à saint Géroche. Ils trouvaient leur eau trop froide. Le saint prit un boulet de pierre, fit jaillir la Fontaine Saint-Géroche et creusa le Ru de Saint-Géroche, qui en évacue l’eau à l’Aubetin. Cette eau est légèrement tiède. La source est tout près de l’église et l’épine à une centaine de mètres plus loin. La même nappe d’eau attiédie alimente la fontaine et provoque la floraison hivernale. Ces phénomènes naturels ne sont pas récents et ont dû frapper les hommes très tôt. Mabillon, citant le calendrier, place la fête du saint le 5 des ides de juillet et précise qu’en Brie on le fêtait le 3. Ce calendrier doit être un obituaire rappelant la date de la mort de Géroche. Les dates correspondent à peu près à la période 10-15 juillet. Duplessis place cette fête le 2 juillet à Meaux, le 3 à Faremoutiers et le 5 à Dagny, date également du pèlerinage à l’Epine. Elles encadrent exactement la Saint Martin bouillant du 4 juillet qui se révèle le véritable patron de l’église de Dagny. On retrouve ce dernier au Pont (Saint) Martin sur l’Aubetin et à la Fontaine Saint-Martin. Par suite d’une loi constante en hagio-toponymie, le vocable d’une fontaine sainte est celui de l’édifice religieux le plus proche, église ou simple chapelle, L’église Saint-Martin de Dagny peut être fondation de Géroche au milieu du VIIe siècle, ou un peu plus tôt. Son culte a effacé presque complètement le souvenir du primitif patron. Ce phénomène se retrouvera ailleurs, comme celui de la persistance du premier patron par une festivité.
Il reste à creuser le nom de Dagny, Daignis en 1274. «Y> représente l’aboutissement de la finale gallo-romaine Iacum et Dan est le gaulois Dan : magistrat, curateur, maître. Les monnaies des Meldes portent précisément la mention « Arcantodan », traduit par le maître de l’argent ou de la monnaie. Nous pouvons maintenant reconstituer le passé religieux de Dagny. Les haches en « serpentine » trouvées sur le territoire communal sont probablement des marques cultuelles. Le double phénomène de la floraison hivernale de l’Epine et de la Fontaine tiède a dû frapper très tôt les hommes qui fréquentèrent la région. Ils ont pensé y reconnaître l’intervention d’un Etre surnaturel qu’ils ont nommé le Maître. Lieu de culte de l’époque gallo-romaine, il reste possible qu’un temple ait été édifié en ces lieux, mais la preuve archéologique manque. Dès son installation, l’abbaye de Faremoutiers envoie sur place son convertisseur le plus actif qui établit peut-être une église Saint-Martin sur les lieux mêmes réputés miraculeux. Il en restera le curé dans les souvenirs locaux. On lui imputera les faits miraculeux dont le maître antérieur était l’auteur. Il finira par remplacer saint Martin comme patron. Temple construit ou simple lieu cultuel, sans édifice, Dagny, au fond de la basse vallée de l’Aubetin, est à la limite précise des anciens diocèses de Meaux et de Sens. Comme Belisama à Bailly-Romainvilliers, le Maître de Dagny est la marque d’une ancienne limite de la Cité des Meldes.

NOTES

Mabillon, Annales bénédictines, I, p. 434.
Thesaurus novus anectodorum cite un Gerochus, abbé en Allemagne sous les empereurs Henri IV et V, t. V, p. 1461.
Le boulet de saint Géroche est visible dans l’église de Dagny, on a cru y voir un boulet de pierrie, c’est possible mais improuvable.
Haches en serpentine. G. Dumontier, les stations de l’homme préhistorique sur les plateaux du Grand Morin, 1882.
Les vertus des pèlerinages ne peuvent guère être retenues elles ont changé. A Dagny, du temps de Duplessis, on l’invoquait pour la guérison des descentes. Dans les derniers temps, il n’avait plus qu’un pouvoir de fécondité humaine.
L’épine noire ou prunellier est un arbuste inutilisable. Toutefois, on en tirait de fort belles cannes, bâtons remplis de nodosités d’un bel effet. L’escalier du clocher de l’église est aujourd'hui ruiné et inutilisable. Il y a une cinquantaine d’années, les enfants y montaient volontiers et pouvaient voir dans les combles le cercueil de saint Géroche.